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L’éthique du bâtiment au Burkina Faso | de Alessandra Coppa

Article publié sur : "Diébédo Francis Kéré lauréat du prix Pritzker 2022"

(Interview originellement publiée dans Cer Magazine International n. 27 – Juin 2011)

Ritratto Francis Kéré (@ Enrico Cano)Fils aîné du chef du village de Gando, au Burkina Faso, son visage porte les marques rituelles qui correspondent au rang et annoncent un destin hors de l’ordinaire. Son histoire est effectivement peu ordinaire, à commencer par le métier qu’il choisit dans sa prime jeunesse, celui de menuisier. Ce choix laisse prévoir sa profession d’architecte – un métier commun, si ce n’est que dans son pays, les constructions en bois sont rares à cause des termites – et lui offre l’occasion de travailler pour un programme du Ministère Allemand pour la Coopération économique et le Développement, et de prendre ainsi les premiers contacts avec celle qui deviendra sa seconde patrie. Dans le village de Gando, il réalise ses premières œuvres d’architecture, qui se sont adjugé le prestigieux BSI Swiss Architectural Award 2010.
Le jury, présidé par Mario Botta, a voulu récompenser Francis Kéré pour son architecture essentielle, intelligente et sans concession aucune en ce qui concerne les composantes de la superstructure et où l’implication des communautés locales devient un projet actif pour améliorer les conditions de vie dans un contexte pauvre comme celui du Burkina Faso.
Avec Francis Kéré, l’architecture retrouve son sens le plus profond, lié à une activité en mesure d’affronter les problèmes majeurs là où perdurent des poches de pauvreté et de sous-développement que l’architecture ne peut ignorer : « son langage – souligne Botta – nous propose des images d’éléments fondamentaux de grammaire de la composition : les couches de maçonnerie de briques à gravité et les toits légers qui deviennent de véritables parasols au-dessus des salles de classe. Une architecture d’une grande humilité, qui montre avec force que l’éthique dans le domaine de la construction peut parfois induire de merveilleux silences du langage poétique ».
Lauréats du Prix, les deux bâtiments scolaires et les résidences des enseignants de l’école sont représentatifs d’une manière d’entendre l’architecture, qui vise à provoquer des transformations durables mais qui nous rappellent la richesse que peut renfermer une architecture pauvre, faite de qualités spatiales, climatiques, de technique d’éclairage et tactiles.

Diébédo Francis Kéré : je suis né au Burkina Faso, un pays où quatre-vingts pour cent de la population sont analphabètes et où la plupart des personnes ignorent le mot « architecture ». Les gens construisent leur maison eux-mêmes ou essaient d’imiter les habitations les mieux réussies dans le voisinage. Si vous parvenez à construire un mur droit capable de traverser la saison des pluies, on vous remerciera toute la vie. Ces pays-là ont besoin de maisons capables de satisfaire au besoin urgent de la population. En Afrique, on rêve de la manière dont sont construites les villes européennes. Nos maisons sont en terre.

Comment avez-vous approché les gens de l’architecture ?
J’ai essayé de créer une association de personnes capables de faire travailler la population pour construire de nouveaux bâtiments, de lui apprendre le métier du bâtiment qu’elle interprète comme une participation importante à la vie sociale et culturelle du village.
Pour apprendre aux gens à construire, je réalise des maquettes à l’échelle 1:1 qu’ils peuvent observer et toucher. De cette manière, le début de la conception se transforme quasiment en un événement rituel.
Ces projets doivent être de la plus grande simplicité possible pour qu’ils soient facilement compris et répétés. Au village, je pense qu’on me considère comme un chef d’orchestre et l’œuvre d’architecture prend une valeur éthique et collective.

 

Scuola Gando (© Enrico Cano)

Agrandissement de l’école primaire de Gando, 2008. (© Enrico Cano 2010)

 

Pour ce motif, l’objectif de votre travail, comme le précise la motivation, n’a pas été seulement d’améliorer l’école du village mais d’impliquer toute la communauté locale dans sa construction, afin qu’elle s’y reconnaisse pleinement et l’identifie comme le fruit d’un travail collectif et d’un projet commun. Dans quel sens ?
Tous mes projets ont été réalisés par des jeunes spécialement formés pour l’occasion : cela n’est peut-être pas la manière la plus rapide et la plus rentable pour faire de l’architecture, mais dans une perspective à long terme, c’est certainement la plus durable. C’est cette composante didactique qui caractérise son architecture et détermine certains choix de construction, comme celui qui est appliqué dans les écoles de Gando et de Dano, à savoir : laisser la maçonnerie apparente au lieu de la recouvrir, comme le veut la tradition constructive locale, avec un enduit argileux parfois mélangé à des additifs organiques. Par conséquent, le nouveau bâtiment devra tenir compte non seulement des caractéristiques climatiques locales mais également des conditions particulières où il sera réalisé. Les techniques de construction devront être simples, pour que les ouvriers autochtones puissent les assimiler, et les matériaux de construction faciles à trouver pour réduire les coûts au minimum et exploiter les ressources locales.

Vos projets suivent-ils les principes de la durabilité et de l’architecture bioclimatique ?
Le projet de 2007 d’agrandir un complexe scolaire préexistant à Dano, village situé près d’une petite ville du Burkina Faso, utilise des matériaux locaux et il est empreint de critères de durabilité environnementale pour répondre aux conditions climatiques spécifiques. Avec son plan en L, le nouveau bâtiment ferme l’angle méridional du complexe scolaire et il est orienté de manière à réduire l’impact du soleil sur les murs, ceux-ci étant ombragés par un toit ondulé. En revanche, l’agrandissement de l’école primaire de Gando de 2008 a suivi les mêmes principes bioclimatiques que le bâtiment d’origine, mais en les traduisant autrement. Le plafond massif utilisé dans le premier cas a été remplacé par une voûte dotée de fentes permettant d’évacuer l’air chaud et d’éclairer la salle de classe. Des raisons climatiques ont amené à intégrer dans la voûte des parties creuses : l’air qui y est contenu forme une zone-tampon et limite la surchauffe des salles de classe. La protection contre les agents atmosphériques est garantie, ici aussi, par un toit métallique fortement en saillie. En chauffant au soleil, le toit en tôle favorise la ventilation entre les deux toits, facilitant l’évacuation de l’air surchauffé et faisant fonction de moteur du système de ventilation naturelle.

 

Scuola Gando (© Enrico Cano 2010)

Agrandissement de l’école primaire de Gando, Burkina Faso, 2008. (@ Enrico Cano 2010)